Mémoire de guerre ------------------------ Tous les jours, à 9h16 sur le quai J des wagons enchaînés passent dans un rythme régulier * portant des troncs d’arbres gigantesques, eux-mêmes portant des chiffres et des lettres renversés en rouge et vert. * Une fille se pointe avec un vélo et un manteau léger de couleur beige qu’il fasse chaud ou froid. * Son regard est concentré sur l’autre rive du quai, droit et statique comme celui des aveugles. * Onze piliers numérotés de 7 à 18 couronnés de vieux panneaux identiques * " attention au pilier " * et de barres à franges métalliques. * Sur l’un d’eux, une inscription confuse, je déchiffre 1942 et plus loin, à gauche, à la main, 1982. * Les toits descendent leurs pentes lentement comme pour éviter que les tuiles, déjà brunies et ourlées de mousses vertes et mélancoliques, ne se dégringolent- ce qui n’est guère improbable- et descendent, alignés, reliés par un trait de fer gris, formant un demi cercle où ces mêmes tuiles convergent dans un mouvement de perspective inachevé vers moi, qui suis sur le quai, à côté de la fille à vélo. * Les arcades accusent un air d’effritement et d’usure. * Aujourd’hui à 9h16, les wagons passent avec d’autres sculptures éphémères, * la fille se pointe, le manteau plié, déposé sur le guidon du vélo, les yeux baissés, sur l’autre rive. * La silhouette, que pour la première fois je vois, hors manteau, mince et presque plate, telle un carton étiré par un fil invisible, paraît annoncer ouvertement une substance évasive, une maladie, ou simplement une singularité anatomique. * Un grand rideau en plastique gris avait effacé l’arrière plan du quai. Le café Le café est bondé. * Quelques verres trinquent laissant glisser sur leurs joues une idée de ce que peut être un vaste ennui. * Des vieilles tables en faux bois marron imprégnées d’une odeur obscure- tabac, souffre, aisselles ventilées de crasse. Un bruit de bouffons, de soldats et de retraités à la gueule rougeâtre sur fond de musette s’arrête afin de marquer la présence de mes pas anonymes sur le seuil d’entrer. * Musette continue lentement tel un moulin qui se rétracte. Tandis que figés les regards pour élargir la distance entre ce que je suis et les mailles du filet où le lieu. * Aucun souffle féminin. * Un homme s’amène à moi, coiffure militaire, grosse ceinture affichant un aigle royal et un minuscule tatouage intégré dans les veines visibles du dos de la main : * Je n’ai jamais changé de place, moi- et je mets que des tee-shirts blancs * été et hiver * Au plafond, mon œil se courbe jusqu’à ces peaux de sangliers et ces divers instruments sourcilleux, puis détournant la photo d’un Eden tropical insolant sur le mur et sautant à l’extérieur où * déjà s’adoucit une allée de hêtres par une démarche de femme- et * une voix off structure les espaces. * Le poème, sans souvenir de ce qui l’a fait être, regarde son ombre quitter la chaise comme dans un vieux film de Dreyer. * La pluie, dans un acte solidaire, sans pathos, commence à strier la lumières des réverbères.
dit-il,
COMPACT DISQUE "TESSONS "( Spectacle musical autour des Poèmes de Mohammed El Amraoui ) a reçu le soutien de la ville d'Angers - Enregistré en Février 2003. Mohammed El Amraoui : Voix Antoine BIROT Maurice SPITZ ney contrebasse acoustique doudouk arménien contrebasse électrique accordéon ( luthier D.Gautier ) percussions (daf) percussions (daf)